
2025-10-02 17:02:16 - De violents affrontements ont éclaté à Oujda et dans plusieurs autres villes du pays, au quatrième jour d’un mouvement de protestation lancé par le collectif GenZ212.
Un fourgon de police, gyrophares allumés, percute de plein fouet un jeune protestataire, avant de poursuivre sa route au milieu des manifestants. Au quatrième jour des rassemblements qui se multiplient au Maroc, la vidéo est devenue virale. La scène se déroule sur l’une des plus grandes artères d’Oujda, une ville marginalisée d’environ 600 000 habitants située dans l’est du pays, près de la frontière algérienne, où des heurts ont éclaté dans la nuit de mardi à mercredi. Après la diffusion de ces images, l’agence de presse nationale MAP a démenti les rumeurs de décès : la victime, hospitalisée, souffre de blessures aux jambes, mais ses jours ne seraient pas en danger.
La violence ne s’est pas limitée pas à Oujda. Des affrontements ont également éclaté dans d’autres régions, notamment à Inezgane, une banlieue pauvre d’Agadir, où des hommes cagoulés ont lancé des pierres sur les forces de l’ordre et incendié des barrières et des bennes à ordures. Des images similaires ont circulé à Beni Mellal, Aït Amira, Errachidia et Témara, illustrant l’escalade de la crise à travers le pays. Ces événements ont fait plusieurs blessés.
Des centaines d’arrestations
Depuis le 28 septembre, le Maroc vit au rythme de manifestations d’une rare ampleur dans le pays. Organisés via la plateforme Discord, à l’image de mouvements similaires qui secouent d’autres pays comme le Népal ou Madagascar, ces rassemblements, jusque-là pacifiques, sont portés par la génération Z (née entre 1996 et 2012, soit près de 8 millions de Marocains). Les jeunes protestataires exigent un meilleur accès à l’éducation et à la santé, tout en dénonçant la corruption qui gangrène les institutions, alors que Rabat consacre des budgets jugés colossaux à l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations, en décembre, et à la Coupe du monde, prévue en 2030. En moins de 24 heures, entre mardi et mercredi, le groupe est passé de 55 000 à 137 000 membres sur Discord.
A l’origine de la colère : la mort suspecte de huit femmes enceintes, en août, à la suite d’accouchements par césarienne à l’hôpital public Hassan-II d’Agadir. Ce scandale sanitaire illustre, pour beaucoup, la déliquescence du service public et renforce l’image d’un pays à deux vitesses, où l’accès aux soins reste profondément inégal. Depuis quatre jours, des centaines de Marocains se rassemblent ainsi dans une dizaine de villes du pays (Rabat, Casablanca, Tanger, Agadir, Marrakech…) pour tenter de faire entendre leur voix. «La santé d’abord, on ne veut pas de Coupe du monde», «Les stades sont prêts, mais où est l’hôpital ?» «Liberté, dignité, justice sociale», entend-on notamment dans les cortèges. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Maroc ne dispose que de 7,7 professionnels de santé pour 10 000 habitants, un chiffre largement en dessous des recommandations de l’agence onusienne.
Risque de «chaos sécuritaire»
Mais les manifestants ont très vite été dispersés par les forces de l’ordre. Plusieurs centaines de personnes ont été interpellées, leurs téléphones fouillés et leur identité vérifiée, y compris par des policiers en civil. Sur les réseaux sociaux, une vidéo saisissante montre un père de famille, sa fillette dans les bras, embarqué dans un fourgon de police. Le parquet de Casablanca a annoncé mardi l’incarcération de 18 jeunes pour avoir entravé la circulation sur l’autoroute et «consommé de la drogue». A Marrakech comme à Rabat, les principaux lieux de mobilisation, comme la place Jemaa el Fna et Bab el Had, sont désormais quadrillés afin d’éviter tout rassemblement. Des pratiques dénoncées par Amnesty International, qui appelle les autorités à «faire preuve d’une retenue maximale et éviter tout recours illégal ou excessif à la force».
Face à cette escalade, le Premier ministre, Aziz Akhannouch, et les principaux responsables de sa majorité ont réaffirmé leur «écoute attentive» des revendications sociales, soulignant que le «dialogue» restait la seule voie pour répondre aux critiques, notamment concernant le système de santé et l’éducation. De son côté, l’ancien chef du gouvernement et actuel secrétaire général du parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), Abdelilah Benkirane, a mis en garde les organisateurs du mouvement contre le risque de «chaos sécuritaire», tout en exhortant le gouvernement à libérer ceux qui ont été arrêtés. Dans une publication sur Facebook, le journaliste d’origine marocaine Mohamed El-Bakkali estime que cette génération descendue dans la rue est «sans affiliation politique déclarée ni encadrement idéologique clair, ce qui signifie que le problème, cette fois-ci, est bien trop profond pour pouvoir être ignoré».
Par Léa Masseguin-Libération / Photo: (Abdel Majid Bziouat/AFP)
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